Journal : LA LORRAINE 1 novembre 1903 (Limédia Kiosque)
Mme FALCONET = (Marie Anne Collot)
L’admiration de la Russie pour la civilisation française, son penchant à aimer notre langue, à goûter notre littérature, à apprécier notre théâtre, à admirer nos chefs-d’œuvre artistique, ne datent pas d’hier. Déjà vers 1760, la nation russe, voulant nous imiter cherchait à nous enlever nos artistes. L’influence de l’art français était devenu prédominante à l’étrange : plusieurs princes d’Allemagne nous avaient emprunté leurs portraitistes officiels. L’impératrice Catherine II suivait l’exemple que lui donnaient d’autres souverains ; elle adressait par l’intermédiaire de ses ambassadeurs, des propositions séduisantes à nos peintres, à nos statuaires, à nos architectes, et les invitant à s’installer à Saint-Pétersbourg.
En 1763, le prince Dimitri Galitzin devint ministre plénipotentiaire à Paris, et les offres furent encore plus nombreuses et plus pressantes. Ami des lettres et des arts, écrivain et philosophe,. Galitzin était très lié avec les beaux esprits, et il fréquentait ouvertement Voltaire et Diderot.
Catherine avait prévu le projet de faire élever une statue en bronze, équestre et colossale, à la mémoire de Pierre le Grand. L’ambassadeur, à qui il était facile d’être bien renseigné sur le mérite de nos sculpteurs, songea d’abord à Pajou, à Coustou et à Vassé, tous trois célèbres, qui se montrèrent assez exigeant. Diderot, le protégé de Catherine II, li conseilla d’avoir recours à FALCONET, le trouvant seul capable de produire un chef-d’œuvre.
Etienne-Maurice Falconet, né à Paris en 1716, et membre de l’académie de Peinture depuis 1754, était un statutaire très en vue. Etant très disposé à se rendre à Saint-Pétersbourg, le voyage, la longue absence ne l’effrayant pas, il n’hésita point à faire part de son acceptation à son ami Diderot.
Une correspondance, qui nous a été conservée, s’engagea à son sujet entre le prince de Gallitzin et le marquis de Marigny, surintendant des Beaux-arts. Le prince faisait connaître le choix de l’Impératrice, et demandait pour le statutaire l’autorisation qui lui était nécessaire, en ce temps-là, avant de quitter la France. Averti de cette démarche, Falconet avait voulu se concilier la faveur de M. Marigny, et il avait écrit à celui-ci pour le prier de s’intéresser à lui et de faciliter son départ. Me maître sculpteur obtint un traité dont les conditions étaient fort avantageuses. Il lui était accordé pour son travail vingt-cinq mille livres par an, jusqu’à concurrence de de deux cent mille. Il recevait en outre douze mille livres de frais de voyage, et on lui faisait présent d’une voiture. Le prince Galitzin, très généreux, ne se bornait pas à remettre ce contrat à l’artiste ; il lui acheta une de ses sculptures, l’Hiver, pour en faire hommage à sa souveraine.
Falconet était alors dans la maturité de l’âge et dans tout l’éclat de sa réputation. Il avait produit plus d’une œuvre capitale, quelques unes de ses sculptures entre autres ; la musique et l’amour menaçant, qui inspira à Voltaire un célèbre distique, se trouvaient placées chez Mme de Pompadour. Au salon de 1765, il s’était fait remarquer par les figures qu’lavai exposées. On l’avait chargé de diriger les travaux de la manufacture de Sèvres, et il devait y devait y fournir de nouveaux modèles.
Dans sa séance du 26 juillet 1766, l’Académie y témoigna a Falconet sa satisfaction qu’elle ressentait de le voir chargé d’un ouvrage aussi important, et Caffieri, alors adjoint à professeur, fut nommé à sa place aux fonctions dont il était déchargé. Après avoir adressé sa lettre de congé à l’Académie, Falconet partit pour la Russie, en septembre 1766 ; il emmenait avec lui trois ouvriers, deux sculpteurs et un mouleur. Il était aussi accompagné de sa jeune élève, Marie-Anne Collot, déjà connue dans le monde des arts. Ce départ eut quelque retentissement; un voyage de ce genre à la suite du maître et pour se rendre dans un pays aussi éloigné ne pouvait passer inaperçu. Nous trouvons l’événement signalé en termes assez mordants dans la Correspondance de Grimm, le célèbre critique.
Marie-Anne Collot, était née à Paris en 1748 ; de condition très obscure, elle avait pour père un homme au caractère insouciant, qui s’occupait très peu d’elle, et l’avait presque abandonnée. En entrant dans l’atelier de Falconet, elle n’avait pas encore seize ans, elle était venue chez lui pour apprendre à dessiner, sans beaucoup se rendre comte de sa vocation ; puis elle était passée à l’étude de la sculpture. Douée d’une remarquable précocité, elle avait ce talent inné que nous retrouvons chez d’autres femmes artistes du même temps, dont l’origine n’était pas beaucoup plus relevée, chez la femme de Fragonard par exemple, ou chez Marguerite Gérard, la belle-sœur du peinte de Grasse. Falconet avait remarqué les qualités de Marie-Anne Collot, elle savait surtout saisir la ressemblance. Elle modela bientôt quelques bustes : celui de l’acteur Préville dans le rôle de Sganarelle, celui de Grimm ; celui de Diderot qui était commandé par Mme Geoffrin, et enfin celui du prince Galitzin, que Grimm dans ses lettres, trouve aussi parlant que les autres. A côté de Falconet, et mêlée au groupe d’amis qui entourait celui-ci, la jeune artiste était en train de se faire une reptation très enviable, et qui se formait sans peine. Elle était traitée sur un pied de parfaite intimité dans la maison que Falconet habitait, dans la rue d’Anjou-Saint Honoré. Le statutaire avait fait bâtir et agrandir cette demeure, entourée d’un jardin orné de tonnelles, ou l’on entendait fréquemment le bruit des discussions philosophiques et artistiques. Diderot était l’hôte assidu du logis, il y portait l’agitation de son esprit, il y mettait maintes idées en mouvement. Il appréciait lui aussi, la talent de Marie-Anne Collot, et, en préparant le traité avec le prince de Galitzin, le traité soumis à Falconet, il avait stipulé un engagement assez brillant pour la jeune fille, qui recevait une pension de seize cents livres par an. Sans doute c’était un acte hardi de s’en aller à l’étranger. Une personne de la bourgeoisie n’aurait pu agir de la sorte; mais, presque délaissée par son père, Marie-Anne Collot, n’en avait que plus de liberté. Elle partait comme une institutrice, qu’attend une position assurée. Elle appartenait au monde artistique, et déjà, dans certain milieu, au XVIII ° siècle, l’idée de l’émancipation de la femme avait fait de sérieux progrès.
Le maitre et l’élève dès leur arrivée à Saint-Pétersbourg, admirablement reçu par la souveraine. Dès les premiers temps, Catherine II montra un certain engouement pour Falconet. Elle le questionna sur les arts, la philosophie,, l’état d’esprit en France. Elle lui écrivait et plaisait à l’entretenir dans les bals et les soirées de la cour : et l’appelait familièrement son compère. Le général Betski, était surintendant des Beaux-arts ; c’est avec celui-ci que Falconet devait se trouver en rapport, mais, soutenu par l’Impératrice, il obtenait tout ce qu’il demandait. Non seulement il avait les entrées auprès de la souveraine, Mais elle lui avait encore faite réserver un logement dans l’ancien palais de l’Impératrice Élisabeth. Marie-Anne Collot, n’était pas moins bien traitée ; Catherine voulut qu’elle eût à se louer des résultats de son travail. Elle lui commanda son buste et celui du Grand-duc Paul, depuis Paul1°. Elle ne lui ménageait pas les menus cadeaux et les largesses. C’est ainsi qu’un an après son arrivée, la jeune artiste reçut de l’Impératrice, une gratification de 12.000 livres. Son traitement était porté à 1.000 roubles ; Melle COLLOT avait en outre le logement et la table. Ses ouvrages devaient lui être payés à part. Il y avait là, assurément, des conditions tout à fait exceptionnelles, et qu’elle n’aurait jamais obtenues en France.
Le monde de la cour, le monde des arts de Saint-Pétersbourg partageaient les sentiments de la souveraine envers la jeune fille au talent précoce. L’Académie des Beaux-arts, tint à l’honneur de la recevoir parmi ses membres, en 1767. Les femmes artistes étaient reçues en France à l’Académie de Peinture. L’Académie de Saint-Pétersbourg imitait cet exemple ; elle ouvrait ses rangs à la jeune statutaire française, dont elle reconnaissait la naissante illustration. Ainsi à dix-neuf-ans, Marie-Anne Collot était élue à l’Académie de Saint-Pétersbourg.
Pendant que Falconet et son élève se félicitaient d’être venus en Russie, pendant que le statutaire s’occupait des premiers projets du monument qu’il devait exécuter, Diderot écrivait de Paris des lettres amicales, où il donnait des conseils à l’artiste, où il reprenait les ardentes théories qui les avaient tant de fois occupés tous les deux. A travers ces discussions philosophiques, leur intimité était devenue de plus en plus étroite, malgré le départ de Falconet pour la Russie, qui avait pourtant séparé les deux amis pour une assez longue période. Diderot parlait à l’artiste de la maison de la rue d ‘Anjou, où il était retourné, pour voir si tout était bien en ordre. Il lui racontait qu’il s’était assis sous le petit berceau, en songeant à lui, et en lui rappelant leurs entretiens auxquels prenait part tant de fois Melle Collot.
En homme dévoué et en protecteur influent, il se chargeait à paris des affaires de la jeune artiste. Il lui écrivait à elle-même, pour lui éprouver tout le plaisir qu’il éprouvait en apprenant l’augmentation de sa pension, la félicitait de ses succès et lui donnait des nouvelles de son père.
L’Impératrice avait bien accueilli la première pensée de la statue de Pierre Le Grand. Là aussi il y avait de quoi satisfaire Diderot ; celui-ci était sûr du résultat, et il jurait que l’exécution de ce monument, procurerait une gloire immortelle à l’artiste. Il se montrait heureux de voir son ami délivré de toute appréhension à ce sujet. Diderot approuvait pleinement l’idée de Falconet qui consistait à représenter Pierre le Grand sur un cheval fougueux, se cabrant au-dessus d’un rocher et se lançant hardiment vers l’espace.
Ce rocher, formé d’un seul bloc, et qui fut extrait et mis en place non sans peine, devait faire un grandiose piédestal. L’animal semblait emporter d’un seul bond le Czar impassible, qui retenait ses mouvements impétueux, et qui étendait la main vers Saint-Pétersbourg ; « cette idée disait Diderot, est simple, elle est violente, elle est impérieuse, elle caractérise le héros ! »
Lui-même, il avait à se louer de l’Impératrice qui, par l’entremise du prince Galitzin, lui envoyait la somme nécessaire pour faire une dot à sa fille. C’était un acte de munificence des plus rares. Nous n’avons pas besoin de rappeler tout ce que Diderot à reçu de Catherine II, et l’acquisition de sa bibliothèque, qu’il pouvait conserver sa vie durant. Cet achat lui avait donné, dès 1765, la liberté du travail. Le philosophe se livrait à une joie sans bornes, qu’il aurait voulu partager à ses amis de Russie, et ne tarissait pas en éloges de la grande souveraine et de son ambassadeur. Aidé de Mme Diderot, il continuait à s’occuper des affaires de Melle Collot et lui prodiguait les encouragements ; il était pour elle un conseiller et un critique attentif. Il lui parlait de la pratique de son art et de la larguer d’idées nécessaire à tout artiste. Manifestant la plus grande foi en son talent, il voulait suivre de loin ses travaux. Il recevait, très à propos, des reproductions de ses œuvres : une copie du buste de l’impératrice lui avait été envoyée. Ce cadeau l’avait charmé, bien que le sculpture eût souffert du voyage, et eût un été détériorée. Si l’œuvre n’avait pas gardé toute sa finesse d’exécution, il trouvait l’image de sa bienfaitrice digne de sa vénération, et il promettait de la placer au centre de sa bibliothèque.
Falconet en poursuivant ses exquises du monument de Pierre-le-Grand, était devenu mécontent de lui-même ; il ne voyait pas son œuvre prendre la forme définitive qu’il souhaitait. Il avait fait successivement trous ébauches de la tête ; il les avait communiquées au général Betski et à l’Impératrice, sans avoir pu les faire agréer. La figure de Pierre le Grand, nous le remarquons était assez ingrate ; comme Falconet se trouvait découragé, et se fatiguait de cette lutte, Melle Collot, croyant deviner ce que l’Impératrice voulait du statutaire, lui demanda la permission d’essayer de son côté. Melle Collot passa la nuit au travail et, le lendemain elle montra à son maître une ébauche qui obtint enfin les suffrages de Catherine.
La statue colossale, commencée par Falconet, fut terminée dans son atelier au bout de dix-huit mois de travail. Le cheval impétueux qui portait le Czar et frémissait sous lui, maintenu par son cavalier, était considéré comme une admirable création du sculpteur, et celui-ci avait sincèrement reconnu le concours de sa collaboratrice pour la tête de Pierre-le-Grand.
La nouvelle du succès de Falconet s’était répandue à Paris : ont discutait avec passion, dans la société littéraire, l’œuvre du statutaire absent. Plus d’un confrère la dénigrait ; les gens du métier trouvaient à redire aux détails, ou mettaient en doute la réussite finale du monument. Falconet était connu, jusqu’alors, plutôt par des productions gracieuses que par des œuvres vraiment fortes ; on supposait qu’il ne pouvait atteindre à l’énergie. Sans doute, une composition de cette importance n’était pas de nature à être acceptée aisément. Diderot déclarait quant à lui, qu’elle imposait silence à l’envie. Il ne parlait de rien moins que d’aller rejoindre son ami à Saint-Pétersbourg, où il était officiellement invité à se rendre par l’Impératrice.
Après avoir beaucoup promis, après avoir beaucoup hésité, Diderot arriva enfin en Russie, vers le milieu de l’année 1773. Il courut chez Falconet, dès qu’il eut mis le pied à Saint-Pétersbourg. Il sauta au coup du statutaire ; il le pressa son cœur ; il baisa sa jeun élève sur les 2 joues : ce furent entre les uns et les autres, les effusions les plus tendres. Il parait, à vrai dire, si nous en croyons Mme de Vaudeul, dans les pages qu’elle a consacrées à la mémoire du philosophe son père, que Diderot éprouva un léger désappointement. Il avait compté sur l’hospitalité du statutaire ; or, celui-ci venait de recevoir son fils, qui arrivait d’Angleterre. Le jeune homme était artiste lui-même et s’était abonné à la peinture. Falconet s’excusa de ne pouvoir accueillir son visiteur, comme il l’aurait souhaité. Diderot fur retenu par M.de Narishkin, et demeura dans sa maison tant que dura son séjour. Les deux amis se virent néanmoins, d’une façon régulière, bien que Diderot eut l’âme ulcérée. Et comment auraient-t’il pu vivre l’un sans l’autre ? Ils avaient encore besoin d’échanger leurs idées, et Diderot obéissant à de nouveaux entrainements, adressait, de Saint-Pétersbourg même, des lettres admiratives, où il ne tardait pas à entonner aussi les louanges de Melle Collot.
L’élève de Falconet, attirait, au reste, à elle tous les suffrages A côté de la vive estime et de la chaude sympathie qu’elle inspirait à Diderot, nous invoquerons un autre témoignage, qui nous parait des plus précieux. Le peintre Roslin, né en Suède, et qui vivait à Paris, où il avait pris rang parmi les maîtres du portrait, était venu, lui aussi, à Saint-Pétersbourg, pour tirer parti de son pinceau. Il avait fait ses adieux à l’Académie de Peinture dont il était membre, en 1774, et il écrivait en novembre 1976, à Jean Baptiste Pierre, directeur de la Compagnie, une lettre qui a été publié, dans les Nouvelles Archives de l’Art Français, et dans laquelle il faisait le plus grand éloge du talent de Melle Collot.
Diderot, en continuant ses relations avec Falconet, avait vu poindre un roman, d’un caractère très sérieux entre le fils du statutaire et Marie-Anne Collot. Falconet n’était pas étranger, à la préparation du line qui allait se nouer. Son fils avait besoin de d’être fixé ; c’était une nature versatile et légère. Né à Paris, le 6 octobre 1741, il était à l’âge où l’on doit une résolution, et il avait jusqu’à ce moment beaucoup trop couru le monde. A Londres, il avait été l’élève de Reynolds, ami lui-même de Falconet. Il avait trouvé à peindre, en Angleterre, plusieurs portraits, grâce aux conseils et à l’influence de son maître. Diderot nous a appris, dans ses lettres, qu’il ne vivait pas en parfait accord avec son père, et qu’l s’était sauvé de la maison. Le philosophe remplissait, comme il convenait, le rôle d’intermédiaire, s’était mis à intercéder en sa faveur, On pouvait reprocher à Pierre Falconet de ne pas aimer assez le travail. Marie-Anne Collot aperçut sans doute les défauts de se caractère. Avait-elle confiance en elle, au point d’espérer que son influence pourrait le rendre meilleur ? Tout nous indique qu’elle hésita, avant de donner sa main à se prétendant, dont il lui était bien difficile d’éviter la poursuite. Circonvenue de toutes parts, elle finit par accepter le projet de cette union qui la faisait rentrer dans la famille du statutaire. Le mariage eut lieu en 1777. Les libéralités de l’Impératrice, plus encore que les sommes qu’elle avait gagnées, lui avaient formé une dot assez ronde. Elle apporta, dans son contrat de mariage, certaines réserves dont nous voyons la preuve de devenir commune en biens avec son mari.
Lorsque cet événement se produisit, le séjour de Falconet tirait à sa fin. Malgré la faveur qu’il avait rencontrée auprès de Catherine II, il avait vu se dresser contre lui de sourdes résistances, en voulant hâter l’inauguration du monument auquel il avait attaché son nom. La fonte se faisait attendre ; pendant plus de deux ans, il demeura inactif, patientant jusqu’à l’arrivée du fondeur. Afin d’occuper ses loisirs, il se mit à traduire les livres de Pline, en y joignant ses commentaires, Il avait épilogué sur l’auteur latin, dans ses lettres à Diderot. Au XVIII° siècle, ce genre de travail n’avait rien de surprenant pour un artiste. Le fondeur qui avait été demandé pour l’aider, étant arrivé à Saint-Pétersbourg. Falconet ne put s’accorder avec lui. Le mouvement que le statutaire avait donné à son cheval exigeait une réalisation matérielle toute particulière. Il fallait que la coulée fut légère pour la masse énorme, qui avait été employé pour représenter la figure de Pierre-le-Grand et qui pesait sur le coursier colossal, ne comprenant pas les visées de l’artiste, en croyant qu’il était impossible de traduire sa conception, le fondeur résista, et fut obligé se s’arrêter dans l’exécution de la tâche. Falconet prit enfin le parti de fondre sa statue lui-même, à l’exemple de plusieurs sculpteurs illustres d’Italie. Cette opération était des plus difficiles vu les dimensions de l’œuvre ; le figure et le cheval devaient être coulés d’un seul jet. Le feu ayant été trop violent, Falconet ne put réussir qu’à obtenir la partie intérieure du monument. Il ne se déclara point vaincu dans cette tentative et renouvelant l’expérience, il produisit une seconde fonte et parvint à amalgamer les deux moitiés de son œuvre. Lorsqu’il s’agit, après avoir terminé ce travail, de régler avec le général Betski les frais qui lui revenaient pour cette longue besogne, il éprouva de nouvelles difficultés qui achevèrent de l’irriter. Il se décida de quitter la Russie, avant d’avoir vu son monument s’élever à la place qui lui était assignée. Il fit brusquement ses adieux à Catherine II, et s’éloigna de cet empire du Nord, où sa réputation s’était encore augmentée, et où il avait vécu heureux et considéré, durant près de douze ans.
Falconet en quittant Saint-Pétersbourg, se rendait en Hollande. Le prince Galitzin, après avoir été longtemps ambassadeur à Paris, occupait à ce moment le poste de La Haye ; il attirait l’illustre statutaire à la cour de Stathouder. La belle fille de Falconet n’avait pu l’accompagner, retenu à Saint-Pétersbourg par un état avancé de grossesse. Son mari était demeuré quelques mois avec elle, puis il était parti précipitamment pour Paris. De venue mère d’une petite fille, Mme Pierre Falconet dut se consacrer d’abord à son enfant. Elle se proposait de partir pour Paris, dès que le voyage lui serait possible et que sa fillette sera en état de le supporter. Son mari, lui demandait, d’une façon présente, de venir le rejoindre. Elle se mit en route, et arriva enfin à Paris en novembre 1778. Son beau-père, que ses travaux retenaient à La Haye, lui donnait affectueusement de ses nouvelles. Entre autres-choses, il lui apprenait qu’une commande se préparait pour elle, grâce à l’entremise de la princesse Galitzin, Il s’agissait d’exécuter en marbre les bustes du prince et le la princesse d’Orange. Le Stathouder était alors Guillaume V de Nassau ; il avait pour femme Frédérique-Sophie –Wilhelmine princesse de Prusse. Falconet engageait Maire –Anne à n’être point timide et à demander à sa protectrice pour son influence pour la prompte exécution de l’ouvrage promis. Dans cette lettre, écrite sans trop d’ordre, et où l’on retrouve les entraînements de l’artiste. Falconet effleurait bien des sujets et y montrait aussi ses admirations et ses préférences en matière d’art. se trouvant en Hollande, cette terre classique de la peinture, il ne pouvait manquer de jeter les yeux sur les chefs-d’œuvre des grands maîtres. Falconet avait été profondément touché par les tableaux de Van der Helts, conservés à Amsterdam ; il trouvait que l’art du portrait n’avait jamais produit rien d’aussi vrai, et il regrettait que sa belle-fille ne fût point à ses côtés, pour contempler de pareilles toiles. Mais il espérait bien qu’elle ne tarderait pas à venir, et que tous les deux verraient ces belles œuvres ensemble. Ces sensations d’artiste, ces extases sincères dépeignent bien l’homme du XVIII ° siècle. Falconet ajoutait à sa lettre quelques conseils qui avaient trait à la marche à suivre pour arriver à l’Académie de Peinture, ou évidement son ancienne élève était digne d’entrer. Il faisait quelques allusions, fort discrètes, au défaut d’entente qui s’était produit entre elle et son fils, dès le début du mariage, ne connaissant qu’en partie le décacord qui commençait à séparer les époux, et invitait Marie-Anne à la conciliation.
La désunion hélas !devait s’accentuer, et la situation devait bientôt prendre une tournure irrémédiable. Ce n’étaient pas des conseils venant de La Haye, qui pouvaient calmer les dissentiments, et empêcher la brouille de s’aggraver. Après les explications les plus vives, après ces scènes de violence où elle se heurtait à un dédain qui devenait cynique, l’épouse offensée perd la tète, et bien décidée à rompre avec son mari, va poser ses griefs chez le commissaire. Le procès verbal qui a été rédigé par ce magistrat, le 14 juillet 1779, énonce tous les griefs de Marie-Anne Collot contre Pierre-Etienne Falconet, son mari. Ce document a été publié dans le Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, au mois d’octobre 1877. Mme Falconet, outre certaines accusations d’une nature intime, reprochait encore à son mari d’avoir dissipé ses revenus, en abusant d’une procuration qu’elle lui avait donnée. Elle l’accusait enfin d’avoir proféré de violentes menaces contre elle, et d’avoir mis deux fois la main à l‘épée, en prétendant qu’elle devait lui donner de l’argent. En ces pénibles circonstances, la malheureuse femme avait dû s’éloigner domicile conjugal et se retirer chez la princesse de Galitzin, alors à Paris : la vie commune était devenue, de tous points, intolérable.
Qu’elles furent les suites de cette affaire ? Malgré l’ardeur apportée par Mme Falconet, nous pouvons supposer, comme cela arrive bien des fois, que tout finit par une réconciliation, ou peut-être par une séparation à l’amiable. Si Falconet père s’était trouvé à Paris, il aurait probablement empêché se belle fille de passer à de pareilles extrémités. Quoiqu’il en soit, peu soucieuse de vivre avec un mari ébauché et brutal, Mme Pierre Falconet ne songeait qu’à rejoindre son beau-père à La Haye. Suivant son désir, elle allait y travailler aux bustes du Stathouder et de la princesse Orange, et trouver enfin la paix dans le recueillement que donne le travail. La jeune artiste avait modelé, pendant son séjour à Paris, un beau portrait de Godefroi de Villetaneuse. Ce buste fut remarqué de ceux qui s’intéressaient aux arts. Comme il avait été exécuté en l’absence du maître, occupé en Hollande, on ne pouvait accuser l’élève à recourir à son ciseau. L’œuvre répondait, d’une manière éclatante, à certaines calomnies qui avaient frappé le talent de la femme artistes.
Lorsque Marie-Anne fut arrivée à La Haye, elle y trouva un accueil empressé et les mêmes succès qu’à Saint-Pétersbourg. Elle s’acquitta avec talent des ouvrages qui lui étaient confiés. Elle exécuta, en Hollande, le buste du célèbre médecin Camper, buste qui fut plus tard fondu en bronze à Paris. Mme Falconet avait ramené de Saint-Pétersbourg une petite Russe qu’elle appelait Machinka, diminutif de Macha,(sa fille Marie-Lucie) qui veut dire Marie. Le docteur Camper vaccina cette enfant, dont la précoce intelligence, charmait tout le monde et l’artiste, dans un mouvement de reconnaissance, offrit au médecin de le portraiturer. Celui-ci était mêlé depuis longtemps au monde scientifique et philosophique par ses travaux et ses écrits. Il était venu en France et avait conservé des relations suivies avec Buffon et quelques uns de nos savants. Anatomiste renommé, il avait publié plusieurs ouvrages qui furent traduits en français. Condorcet à écrit son éloge, et certaines de ses recherches, sur les diverses races humaines, et ne devaient point paraître indifférentes aux artistes.
Falconet et sa belle-fille, revirent tous deux à Paris en 1781. La Hollande ne les avait pas retenus longtemps; Falconet se trouvait, d’ailleurs, un peu fatigué de la vie errante qu’il menait depuis tant d’années. Il estimait que son œuvre de statutaire était terminée, et il songeait à recueillir des idées originales, qu’il avait émises plus d’une fois sur l’histoire, la théorie et la pratique de son art. Il avait déjà publié en 1761, ses Réflexions sur la Sculpture ; c’était une conférence à l’Académie de Peinture. Il avait donné à l’Encyclopédie, où il était si facile de collaborer, un article sur la Sculpture, un article qui ne pouvait être que personnel. Mis en goût par sa traduction sur Pline, il était tout prêt continuer à se doubler d’un écrivain, et il avait commencé, pendant son séjour en Hollande, à faire paraître quelques-uns de ses ouvrages. Le prince Galitzin, l’avait du reste, vivement encouragé à poursuivre cette publication, qui s’était faite grâce à ses soins et avec son patronage Quelques-uns des ouvrages de Falconet, parurent en Hollande, et en Suisse, à Lausanne, dans le courant de l’année 1781.
On peut retrouver l’esthétique de Falconet dans ses écrits. Il a développé un certain nombre de jugements qu’il s’était borné à formuler tout d’abord. Il c’est occupé de questions de pure technique et de procédés matériels. Se livrant à son goût pour la polémique, il a pris à partie, à propos de certaines opinions qu’ils avaient exprimées, Voltaire, Algarotti et Lessing, ces trois écrivains restés célèbres en France, en Italie et en Allemagne. Il a décoché quelques traits à Linguet, l’avocat Rémois, par qui il avait été attaqué par ses pamphlets et là traité de folliculaire ; c’était l’injure en vogue, vers la fin du XVIII° siècle, dans le monde des gens de lettres. Falconet ne pouvait manquer de s’occuper de lui-même. Il a exposé les difficultés qu’il avait eu à vaincre, lors de l’érection de la statue, et il a raconté son différend avec le ministre de l’Impératrice Catherine. On remarque, dans ses écrits, quelques mots sur le talent de sa belle-fille. Il y parle de la tête de Pierre le Grand, modelé par celle-ci : « Ce portait hardi colossal et touché de caractère est de Melle Collot, mon élève, aujourd’hui ma bru. » Falconet, à l’encontre de plusieurs de ses confrères, croyait que les femmes puissent se faire une place honorable dans le monde de l’art. Il ajoutait qu’une seule s’était distinguée dans la sculpture : c’est à Marie –Anne Collot, on le devine, qu’il faisait allusion.
Notre statuaire, s’était retiré à Châtenay, près de Sceaux, dans une propriété qu’il avait achetée. Il se tenait là, un peut à l’écart du mouvement artistique et littéraire, ce qui peu surprendre après le long séjour qu’il avait fait à l’étranger. Pendant ce temps, il n’était pas totalement oublié en Russie. Et lorsqu’il se plaignait de l’entourage de Catherine, la grande Impératrice lui donnait une marque de bon souvenir. Elle lui envoyait une médaille d’or et un e médaille d’argent, et deux jetons commémoratifs. Falconet obéissant à un sentiment qui l’honore, rapportait aussitôt à sa belle-fille une part de faveur qui lui était faite ; il lui attribuait ce qui lui revenait dans ce cadeau impérial, et li adressait une lettre affectueuse, en y joignant la médaille d’argent et un jeton, en souvenir de sa collaboration à son œuvre. Cette lettre, datée du 31 janvier 1783, fait partie des Archives du Musée historique Lorrain, de Nancy.
Vers la fin de 1783, la santé de Falconet se trouva subitement ébranlée par une violente attaque, qui le laissa paralysé du côté droit. Lorsqu’il ressentit les atteintes du mal il se préparait à partir pour un voyage, après avoir parcouru les pays du Nord, il avait envie de visiter Florance, Venise et Rome. Il avait demandé comme autrefois quand il se proposait d’aller à Saint-Pétersbourg, l’autorisation officielle qui devait lui permettre de s’absenter. Son congé lui avait été naturellement accordé. Le projet dont se berçait la vieillesse de Falconet, ne devait, point malheureusement se trouver réalisé, à la suite de cet événement. Au milieu de cette nouvelle épreuve, la belle-fille du statutaire, retenue par son devoir auprès de lui, lui montra le plus noble dévouement. Un ami de Falconet, P.-C. Lévesque, membre de l’institut, professeur d’histoire au collège de France, qui le connut en Russie, où il était allé le trouver sur la recommandation de Diderot, celui-là même qui a revu et publié les œuvres complètes du statutaire, a parlé dans sa préface des soins qui lui furent prodigués par son élève, dont l’affection ne se démentait pas, malgré l’humeur naturellement difficile se son beau-père.
Falconet survécut huit ans au terrible accident qui l’avait frappé, il eut une vieillesse assez triste. Il mourut le 24 janvier 1791, âgé de soixante-quinze ans. Sa mort fut enregistrée en ces termes dans Les Procès-verbaux de l’Académie de Peinture, «Séance du 29 janvier 1791. En ouvrant la séance le secrétaire, à notifié la mort de M. Etienne-Maurice Falconet, sculpteur, ancien recteur de l’Académie, associé libre de celle de Saint-Pétersbourg ». Marie-Anne Collot perdit son mari, peu de temps après ; ce dernier avait cessé de peindre depuis plusieurs années ; ce n’était pas, pour faire comme son père, pour transporter l’activité de son esprit sur un autre point. L’artiste n’était pas parvenu à donner des preuves soutenues à son talent, et à se faire un nom.
On conserve, au Cabinet des Estampes, à coté de quelques gravures d’après les œuvres de Falconet, une lithographie de la statue de Pierre le Grand. Une réduction de cette statue se trouve placée au milieu de la Salle Blanche, dans le palais de Péterhof. Cette reproduction est précédée de quelques lignes, émanant d’une personne qui parait bien renseignée sur les faits et gestes de la famille du sculpteur. On y lit sur son fils, cette appréciation, qui équivaut un passage de biographie : «Pierre-Etienne Falconet, avait, dans sa jeunesse, un pinceau qui lui présageait des succès, mais héritier certain d’une fortune qui suffisait à ses désirs, il ne cultiva la peinture qu’en amateur agréable ».Ce jugement est péremptoire ; il n’y a pas de reproche aussi cruel à adresser à un artiste que de la traiter d’amateur.
On se trouvait, lorsque Falconet mourut, au fort de la Révolution. Une femme devenue veuve, ayant auprès d’elle sa petite fille, qui grandissait, se sentait exposée à de émotions redoutables. Mme Falconet n’était certainement pas rassurée ; on aurait pu croire, après ses travaux en Russie, qu’elle était aristocrate, ou qu’elle entretenait des intelligences avec les ennemis de la France. Le souvenir des faveurs, si nombreuses et de si haut prix, qu’elle avait reçues de l’Impératrice Catherine, suffisait amplement pour la faire soupçonner. Un jour, de son appartement elle entendit des clameurs plus horribles que d’habitudes. Lorsqu’elle voulut voir ce qui se passait dehors, dit son biographe, elle aperçut une tête de femme, tout ensanglantée que des sans-culottes promenaient au bout d’une pique. L’amie de Marie-Antoinette, la princesse de Lamballe, avait été victime des septembriseurs. Ce spectacle navrant laissa un tel saisissement à Marie-Anne Collot, qu’elle prit la résolution de quitter Paris.
Les femmes artistes de cette époque ne se familiarisaient pas aisément avec les excès et les dangers de la Révolution. Mme Vigée-Lebrun a raconté, dans ses souvenirs, comment elle avait fui Paris, au moment où le peuple venait contraindre la famille Royale à abandonner Versailles. Comme peintre de la Reine, elle s’était demandé si on ne la prendrait pas pour une royaliste ; elle avait entendu de grossiers propos, elle s’était trouvée en butte à des menaces. Effrayée par une invasion de gardes nationaux dans sa maison, elle prit la diligence et se sauva pendant la nuit. Elle traversa la France en toute hâte, se retira en Italie, et passa de là en Autriche et en Russie.
Mme Falconet, avait acheté en 1791, sur sa propre fortune, le Domaine de Marimont, en Lorraine, situé entre Dieuze et Château-Salins, et qui appartenait auparavant au duc de Richelieu (.Armand-Emmanuel du Plessis de Richelieu) Ce gentilhomme avait émigré, au début de la révolution, il avait pris du service dans les armées de Catherine II et devait devenir gouverneur d’Odessa. Mme Falconet retrouvait un beau château et des terres étendues. Elle se réfugia dans cette propriété comme dans un asile où elle se promettait de vivre paisiblement, sa fille alors âgée de quatorze ans.il n’était pas beaucoup question pour elle, de reprendre l’ébauchoir, elle l’avait trop souvent laissé tomber des ses mains, lorsqu’elle entourait son beau-père de ses soins, et qu’elle assistait, à Paris, à un bouleversement qui n’était guère favorable à l’incubation d’une œuvre. Dans ce Domaine, elle avait distingué, parmi ses nouveaux amis, un gentilhomme, Stanislas Jankovitz de Jeszencize, dont le père était venu se fixer en Lorraine, à la suite du roi Stanislas Leszczynski. Celui-ci l’avait choisi comme contrôleur générale de sa maison : il en avait fait l’Intendant de ses palais, lunéville, Nancy, Commercy et Bar-le –Duc. Les Jankovitz, étaient d’origine hongroise ; ils avaient été entraînés en Pologne à la suite d’événements politiques. Stanislas après avoir perdu son royaume, obtenait comme compensation la souveraineté viagère des duchés de Loraine et de Bar. Il était naturel qu’il conservât auprès de lui, ses plus anciens partisans, ceux qui s’étaient dévoués à sa cause. Le fidèle serviteur, qu’avait honoré la confiance de son souverain, reçut du monarque exilé, du prince qui soutenait son alliance avec Louis XV, plusieurs missions diplomatiques dont il s’acquitta avec succès. Lorsqu’il eut un fils, l’enfant fut tenu sur les fonds baptismaux, par le roi et la princesse Osollnska.
La vie s’était ouverte, sous de riants auspices, pour Stanislas de Jankovitz. Né à lunéville en 1763, il avait un pue moins de tente ans, et tout révélait en lui une nature sérieuse et un esprit distingué. Gagnée peu à peu par les premières prévenances, Mme Falconet en vint tout naturellement à penser qu’il était un mari tout indiqué pour sa fille. Les femmes, qui venaient d’assister aux brutales péripéties de la Révolution, avaient dans leurs idées plus de maturité. Mme Falconet se demandait comment elle pourrait éviter à son unique enfant, les douleurs d’une union où les caractères sont mal assortis ? Elle ne voulait pas, d’autre part, que sa fille épouse un homme nouveau, car ses préférences étaient pur l’ancien régime. En cette année 1792, malgré les préoccupations qui pesaient sur les esprits, les fiançailles, furent conclues à Marimont, La fille de Mme Falconet n’avait pas encore quinze ans, il en fut pour elle comme pour certaines unions de dauphins de France, avec des princesses étrangères, unions amenées par la raison d’état. Le fiancé promit d’attendre, avant de devenir le mari. Le gendre de Mme Falconet était digne de tous points de l’estime que celle-ci lui avait témoignée. Il passa à Marimont une grande partie de la révolution. Il ne lui était guère permis, se tenant en dehors de l’ordre des choses établi par la République, de faire alors emploi de ses capacités. Sous le Consulat et au commencement de la République, il s’était mis un peu plus en vue; il disposait déjà d’une certaine influence, et il devint, en 1814, membre du Conseil général de la Meurthe. L’invasion lui fournit l’occasion de jouer un rôle de patriote des plus honorables. Le département de la meurthe avait été frappé par une contribution de guerre par les puissances alliées. Il reçut des autorités la mission d’aller réclamer à Paris contre l’exagération de la somme imposée, qui s’élevait à deux millions. Il comptait sur l’Empereur Alexandre, auprès duquel le nom de Jankovitz et celui de Falconet pouvaient être une puissante recommandation. L’Empereur l’accueillit, en effet, favorablement, le délégué fut assez heureux pour obtenir une partie du dégrèvement qu’il avait demandé. Ce fut un bienfait d’une portée considérable, pour des populations voisines de la frontière, et qui avaient beaucoup souffert. Le nouveau gouvernement, remercia Stanislas de Jankovitz de l’issu de cette négociation, en lui confiant les fonctions de préfet par intérim. Louis XVIII, satisfait de ses services, lui accorda, peu de temps après, le titre de baron, en constituant en majorat, le domaine de Marimont. Enfin, en 1815, les électeurs du collège de Château-Salins, le choisirent pour leur représentant à la Chambre des députés. Mme Falconet assistait, avec une joie extrême, au succès de son gendre ; il faut réélu, en 1820, sans opposition. Sa fille n’avait jamais cessé d’être heureuse, aucun nuage ne troublait cet l’intérieur. La mère se sentait doucement vieillir, elle pratiquait la bienfaisance, elle était la châtelaine de Marimont et la Providence de ses voisins. Après avoir passé une vieillesse honorée, Mme Falconet s’éteignit à Nancy, dans son hôtel rue de la Source, le 23 février 1821, à quatre heures du soir, dans sa soixante-treizième année0 Son acte de décès fut dressé le lendemain, le 24 février, par M. Charles-Antoine-Joseph Regneault de Bautelecourt, Maire de la ville de Nancy, qui faisait les fonctions d’officier d’Etat Civil. La mourante ne regrette pas d’avoir abandonné la poursuite de la gloire. Elle pouvait s’endormir du sommeil, sans conserver aucune crainte au sujet des siens.
Un événement douloureux devait, hélas ! se produire encore dans la famille de Mme Falconet. Son petit-fils, le fils unique du baron de Jankovitz, Anselme, mourut des suites d’un accident de chasse. Le père, désolé, abandonna son titre de représentant de la Meurthe. Ni lui, ni la baronne ne voulurent plus vivre à Nancy ou à Marimont ; ils allèrent se fixer à Versailles. La descendance de Mme Falconet ne devait donc pas se perpétuer. Le baron de Jankovitz mourut en 1847 ; sa veuve vécut, presque seule, absorbée pas ses souvenirs, ayant le culte de sa mère et son grand-père, et réunissant autour d’elle tous les objets qui leur avaient appartenu. A sa mort, survenue en 1865, à Versailles, où elle habitait la rue Saint Louis, elle laissait au Musée Lorrain ses richesses artistiques.les papiers de famille, les archives intimes, les pièces relatives aux œuvres de Falconet furent conservés par cet établissement. Les tableaux, les sculptures provenant du même legs, furent remis en dépôt au Musée de la Ville. Il y avait là des œuvres du père de Mme Jankovitz, quelques peintures et divers dessins.
La généreuse donatrice, en traçant l’emploi de sa fortune, disposait, en outre, un certain nombre d’objets qui avaient leur prix et leur intérêt historiques, en faveur de M. de Warren, qu’elle avait connu enfant et pour lequel elle professait une vive estime. M. de Warren avait été désigné par elle comme exécuteur testamentaire. Parmi ces objets, précieux pour un amateur, et bien placés chez un homme de goût qui était, en même temps, un lettré, figurait un moulage du buste de Falconet père qui se trouve à Saint-Pétersbourg, et dont le musée de Nancy a reçu une reproduction, un portrait de la mine de plomb de celui-ci, dessiné par son fils, d’après le buste de Marie-Anne Collot, un portrait de Mme de Falcone, un portrait de Mme Jankovitz, un autre de la même personne enfant. M. de Warren, a conservé en outre une collection de médailles commémoratives, données par l’Impératrice Catherine, une grande boite de laque, en forme de cœur, qui a été aussi un présent de la Czarine et où celle-ci renfermait sa correspondance, et enfin une cassette en fer et en cuivre, œuvre de Pierre le Grand lui-même, et marqué de la hache de l’immortel charpentier de Saardam, et de la couronne de Russie.
Dans le portrait du sculpteur Etienne-Maurice Falconet, qui se trouve au musée de Nancy, Mme Falconet sa belle-fille, a rendu à merveille les traits de l’illustre statutaire. On revoit l’artiste bourgeois du XVIII °siècle, affectant une allure simple. La figure est fine, railleuse et mobile : on songe au caractère maussade de l’artiste, en apercevant certaines saillies un peu rudes de ses traits. La physionomie donne avant tout l’idée d’un homme assez narquois, on dirait, à remarquer son sourire, et l’expression des ses lèves serrées, qu’il a voulu garder l’attitude d’un septique. On se rappelle devant cette sculpture, que Falconet avait eut un caractère agitée; il posséda des aptitudes nombreuses, qu’il remua beaucoup d’idées différentes, et il parait très éveillé sur toute chose, très intelligent et très actif.
Marie-Anne Collot a exécuté, d’après son mari, un buste en plâtre, que nous retrouvons au musée, et qui nous offre les mêmes qualités de vie. Falconet fils a le nez épais et proéminent. On remarque que les pommettes saillantes de ses joues, ses lèvres sensuelles, son visage amaigri. La physionomie est spirituelle; il porte les cheveux rejetés, d’une façon cavalière, ils sont bouclés négligemment sur l’oreille.
Le musée de Nancy possède encore un plâtre du buste du docteur Camper. Notre statutaire a indiqué avec vigueur le nez fortement busqué, le front dénudé et marqué par des rides, le visage replet et gras, les yeux attentifs et largement ouverts du savant. Point de déguisements, points d’artifices pour embellir cette figure significative et un peu lourde, d’homme grave, de médecin et de penseur. On peut voir également, au même musée, une autre des œuvres de Marie-Anne Collot, d’un art très aimable assurément, et pourtant très vivante. C’est une tête de jeune fille, en marbre, toute moderne par l’expression. L’exécution en est élégante, quoique certains détails demeurent légèrement esquissés. Cette œuvre charmante nous est parvenue sous une forme assez pure. Malgré la note laissée par Mme de Jankovitz, où elle suppose que ce buste est le portrait d’une amie de sa mère, nous inclinons à penser, comme M Larcher, le très distingué conservateur du musée de Nancy, que ce buste est le portrait de l’auteur, Mme Pierre-Etienne Falconet. La physionomie rappelle vivement la peinture faite par son mari : l’ovale du visage est le même, les traits sont pareils, l’expression générale analogue Ce buste a passé pour être celui de Catherine II ; mais l’erreur est évidente. Ces différents ouvrages attestent que Mme Falconet recherchait en général, l’expression plutôt que la grâce. On se tromperait en voyant en elle un talent fort féminin, ce sentiment du réel semble à la rapprocher de Houdon, bien plus que de son maître lui-même.
Nous ne nous arrêterons pas à apprécier longuement les peintures de Pierre Falconet. L’élève de Reynolds ne montre, ni souplesse, ni vigueur, il se contente d’une grâce superficielle, d’un maniérisme facile. Il a peint son portrait est celui de sa femme. Nous retrouvons encore en lui, d’’après la peinture exécutée par lui-même, un type d’homme commun et vulgaire. Nous le voyons vêtu d’une veste brune sur laquelle retombent les larges revers d’un gilet rouge. La tête couverte d’un chapeau noir de forme ronde, et il s’est représenté, en tenue d’atelier, et dans un costume assez négligé. Il a l’air abandonné qui ne fait valoir, ni l’homme, ni l’artiste. Comme le buste modelé par sa femme, on remarque la maigreur de son visage ; les pommettes sont rougies ; les joues sont creuses ;le regard est devenu vague sous les paupières arrondies et gonflées. Pierre Falconet ne s’est pas embelli, en faisant lui-même son portrait. Il tient en main cette palette dont il devait si mollement et si faiblement se servir.
Quant à sa femme, il l’a représentée en corsage de satin bleu, sur lequel est jetée une mante de soie noire. Le profil est pur, la physionomie distinguée. On est charmé par le regard vif et franc du modèle; la bouche est un eu grande ; le front est découvert. Mme Falconet à les yeux noirs ; ses cheveux châtains, sont relevés, et retenus en arrière par un petit bonnet de dentelle. Le costume est élégant, la pose sympathique. Quelle différence entre la tenue morale de la femme et la désinvolture du mari! Le visage est un peu pensif, l’air est sérieux ; l’artiste au talent personnel se révèle nettement dans cette image. Indépendamment de ces deux portraits, le musée de Nancy possède les œuvres suivantes de Pierre Etienne Falconet : la jeune Fille au Chapeau de paille, et Chien épagneul jouant avec un chat. A côté de ces peintures, ont peut voir aussi, au même musée, un copie d’après Greuze, le Petit Dormeur, et deux dessins : Portrait d’Etienne-Maurice Falconet et la Petite Fille au Chien. L’orignal du Petit Dormeur, de Greuze, se trouve au musée de Montpelier.
M. le comte de Warren, qui fut membre de l’académie de Stanislas, et amateur éclairé, autant qu’écrivain distingué, avait réuni quelques débris de l’atelier du célèbre statutaire. A côté d’une belle collection de gravures du XVIII° siècle, ayant appartenu à Falconet père, se trouve le portrait de Marie-Anne Collot, dessiné à la mine de plomb par Falconet fils et daté de 1774.Ce portrait fut exécuté par le fils du statutaire, trois ans avant son mariage. Dans son hôtel de la rue Saint-Michel, M. de Warren a fait placer, sur un socle de granit rose, une copie de la fameuse sculpture de Falconet, L’Amour menaçant.
Un dernier souvenir, ayant la même provenance, que les œuvres que nous venons de citer, un autre document offrant aussi quelque intérêt, se trouve encore au musée de Nancy. Nous voulons parler d’un dessin légèrement estampé et relevé de crayon noir et blanc, d’après la statue de Pierre le Grand, par Falconet, telle qu’elle devait s’élever primitivement sur la place de l’Amirauté , à Saint-Pétersbourg. L’auteur de cette reproduction est un artiste du nom d’Antoine Lossenko, né en Galicie, qui vivait dans la seconde moitié du XVIII° siècle, et que nous pouvons classer dans les débuts de l’école russe.
Nous aurions voulu donner une liste détaillée des œuvres de Mme Falconet, qui sont demeurées à Saint-Pétersbourg. Il convient de citer tout au moins les deux bustes en marbre représentant le beau père de l’artiste et Diderot, considérés, en Russie, comme les deux productions capitales de Marie-Anne Collot. Ces ouvrages font partie de la Galerie de Sculpture moderne au musée de l’Ermitage. L’ébauche en terre cuite de la tête de Pierre 1° appartient au musée de l’Académie des Beaux-arts. Quant au buste de Catherine II et de quelques autres personnages que la femme artiste avait représentés, certaines de ses œuvres sont conservées dans les palais impérieux, d’autres sont placées dans quelques hôtels de l’aristocratie russe.
Mme Falconet, avait sculpté un médaillon en bronze de l’Impératrice, à la suite des victoires remportées sur les Turcs, en 1769. Pour n’omettre aucune des productions de Marie-Anne Collot, qu’elle avait fait, d’après la commande de Catherine II, le buste du roi Henri IV et celui de Sully. Ces œuvres historiques ne pouvaient avoir la valeur que donne l’étude de la nature. La femme statutaire devait cependant réussir ces figures ; elle avait été aidée, dans son travail, par des masques en plâtre envoyés de Paris par Le Moyne, (Lemoyne) qui avait été le maître de Falconet. Pour modeler les traits d’Henri IV, Le Moyne s’était servi du portrait peint par François Pourbus ; Mme Collot avait donc pu s’inspirer d’une effigie authentique. Nous devons encore signaler, parmi les bustes exécutés à Saint-Pétersbourg, celui de Melle Cathcart, fille de l’ambassadeur d’Angleterre. Au musée de l’Académie, se trouve un portrait de Mme Pierre Falconet, dessiné au crayon noir et retouché à la sanguine. C’est une œuvre de son mari, exécutée en 1778, peu de temps après le mariage.
Le buste de Stathouder et celui de sa femme, que Mme Falconet avait exécutés en Hollande, furent placés pendant longtemps, à la Maison du Bois, château des souverains de la famille d’Orange, situé près de La Haye, où se tint, en 1899, la conférence de désarmement général ou de la paix.. Ces deux ouvrages, signés M.A Falconet, née Collot, se retrouvent aujourd’hui au musée de cette ville.
Voilà toutes les particularités que nous avons pu trouver sur l’œuvre de cette femme artiste, dont la physionomie nous a paru très séduisante. Mme Falconet appartient surtout au XVIII° siècle, et pourtant, par certains côtés bien apparents, elle semble d’une époque plus récente. En définitive, nous pouvons dire, en terminant cette étude, que Mme Falconet, que Mme Falconet, conserve à nos yeux, la grâce et l’intérêt d’une figure d’hier. A.V
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Le gérant : Léon TONNELIER.
IMP. LOUIS KREIS ,rue St Jean-Georges, 54, NANCY
Nota : Cependant dans cet article l’auteur ne parle pas qu’après la mort de leur fils unique Anselme, le couple part en Hongrie dès 1832, afin d’adopter un héritier descendant de la famille Jankovitz .C’est ainsi que le couple adopte 1820, Vincent-Ferdinand-Joseph Jankowitz à alors 12 ans. Il arrive en France en 1842 après avoir démissionné de l’école de cavalerie du Prater à Vienne pour répondre à la proposition du baron Stanislas de Jankovitz qui a prévu son adoption. Vincent adopte donc la nouvelle orthographe de son nom et se nomme dorénavant « de Jankovitz » comme son futur père adoptif. Naturalisé français, il réside d’abord à Versailles chez ses parents d’adoption avant d’y épouser, en 1846, Louise-Simone-Félicie de Vaulchier du Deschaux, fille d’un ancien préfet et ex-directeur général des postes, la baronne Marie-Lucie s’engageant, par contrat de mariage, à lui léguer la propriété du domaine de Marimont. Plus tard, le couple s’installera à Besançon dans l’hôtel particulier des Vaulchier, beaux-parents de Vincent.
Voir dans la même rubrique « la Saga Jankovitz de lunéville à Marimont » de Jean Paul Peiffer.
COLOMBERO Christian