De Lunéville à Marimont : la saga Jankovitz
François II, roi de Hongrie, issu d’une grande famille d’aristocrates hongrois, les Rakoczy, a vainement lutté aux côtés de Louis XIV pendant la guerre de succession d’Espagne (1701-1714) contre les empiètements autrichiens…Et la tentative de révolte des Hongrois contre les puissants Habsbourg échoue…Nous sommes en 1711 : André Jankovitz, son épouse Marie et leur fils Joseph, 5 ans, ralliés à la cause nationale hongroise, ont tout perdu : fuyant la Hongrie, ils trouvent refuge en Pologne. Nicolas, le frère d’André, reste en Hongrie perpétuant ainsi la lignée hongroise de la famille Jankovitz. Qu’advient-il du couple André-Marie ? Où se sont-ils rendus en Pologne ? On l’ignore ! Mais il est certain que les bonnes relations de la famille avec les comtes Forgach auxquels elle était particulièrement attachée, ont largement aidé le jeune Joseph, beau garçon intelligent, à être présenté à Stanislas Leszczynski et son entourage, durant son interrègne (1709-1733). Joseph n’est pas abandonné : une bonne éducation et des études lui sont assurées lui permettant vers 1722, âgé de 16 ans, d’entrer au service d’un fidèle parmi les fidèles du roi déchu : François Maximilien Ossolinski qui lui confie la surveillance de son domaine de Prusse. Les années passent et le second règne du roi de Pologne aussi, marqué par son abdication. Celle-ci a lieu en janvier 1736 et en mai de la même année le monarque détrôné s’achemine vers la Lorraine. Mais avant de quitter la Pologne,il faut régler le transfert des effets du roi, de son mobilier, de ses joyaux , des biens de la famille Ossolinski et encadrer les serviteurs…C’est à Joseph qu’est confiée cette délicate mission. Et quand Stanislas, sa famille et ses fidèles arriveront à lunéville, en avril 1737, Joseph Jankovitz estla.
Il est l’intendant du « Grand Maître » Ossolinski, Monsieur le duc, et c’est pour Joseph une vision imposante que celle de ce seigneur fastueux toujours en rapport avec les plus hauts personnages qui fréquentent la cour. Son activité est mise à l’épreuve car il faut répondre à toutes les exigences du Maître à lunéville, Einville, la Malgrange, Jolivet, Chanteheux, Commercy et de ses nombreux déplacements autour desquels 40 domestiques s’affairent ! Mais Joseph, infatigable, sait faire apprécier ses services…et mener à bien les missions diplomatiques qui témoignent, évidemment, de la confiance qu’on lui accorde.
L’une des demoiselles d’honneur de la duchesse Ossolinska, Anne Krotunska est la filleule de Monsieur le duc, qui s’est chargé de son éducation après le décès prématuré de ses parents et l’a amenée à lunéville. Anne a 9 ans, Joseph 31. L’un et l’autre acquièrent la « naturalité » lorraine en 1752 et se marient en août… 1759 ! On peut se demander comment, ayant vécu si longtemps, depuis 1737, dans le même milieu, se rencontrant sans doute journellement, ils ont tant attendu pour s’épouser ? La réponse vient naturellement : l’intendant du Grand Maître peut-il prétendre à la main de la demoiselle d’honneur ? Et surtout du vivant de Monsieur le duc dont Anne est la parente ! Il faut donc attendre la mort du duc et de son épouse dont l’orgueil est avéré. De santé fragile, la duchesse s’éteint à lunéville en janvier 1756 ; son mari lui survivra de peu : il décèdera à la Malgrange en juillet de la même année. Dès lors, Joseph Jankovitz passe au service du roi Stanislas dont il devient le contrôleur ordinaire en remplacement du Lorrain François-Antoine Alliot. C’est dans cette situation que se décide son mariage avec Anne Krotunska, l’ancienne demoiselle de compagnie de la duchesse. Celui-ci a lieu le 22 Août 1759. Anne a 31 ans et Joseph 53.
Stanislas Leszczynski décède des suites d’un terrible accident en février 1766. Joseph, contrôleur, règle encore les multiples détails qui lui incombent et survivra à son maître jusqu’en octobre 1768. Pendant 46 ans, il aura donc servi fidèlement le prince Ossolinski et le roi de Pologne, duc de Lorraine. Après les vicissitudes de son enfance, le fils du banni de Hongrie a pu s’élever à une position de choix tout en gardant, en plein 18ème siècle, une rectitude de vie dont il transmet l’exemple à son fils : un esprit droit et le sens du devoir ! Après la mort de son mari, Anne Krotunska s’installe à lunéville dans la belle demeure correspondant au n° 36 de l’actuelle rue Gambetta. Baron Antoine de Jankovitz
Antoine-Stanislas-Nicolas-Pierre-Fourrier Jankovitz, fils de Joseph et d’Anne, voit le jour le 7 Juillet 1763 à lunéville, quatre années après le mariage de ses parents. Il a pour parrain Stanislas, duc de Lorraine, et pour marraine la comtesse Thérèse Ossolinska, belle-fille de feu M. le duc : la vie s’est donc ouverte sous de riants auspices pour le jeune Antoine-Stanislas en qui tout révélait une nature sérieuse et un esprit distingué. Après des études de droit, il sert quelques années dans un régiment d’infanterie et, à la Révolution, fait partie de la municipalité de lunéville où il commandera aussi la Garde Nationale. Il se démet toutefois de toute fonction publique lors de la chute de la monarchie. La considération qu’il s’est acquise et ses qualités personnelles aidant déterminent, en 1792, madame Falconet, belle fille du célèbre sculpteur Etienne Falconet et elle-même sculpteur (1), à lui donner la main de sa fille unique Marie-Lucie. Alors il se retire sur la terre de Marimont (2) près de Bourdonnay (Moselle) acquise par sa belle-mère. En 1799, un premier deuil frappe la famille : Anne Krotunska décède à Marimont à l’âge de 71 ans; son fils lui choisira comme sépulture la chapelle du domaine de Romécourt dont il connaît bien la famille. Mais c’est bien plus tard, très certainement en 1831, que sera posée à sa de mande, la dalle funéraire qui marque encore de nos jours l’entrée de la chapelle (3), ce qui explique aussi la curieuse mention « Priez Dieu pour elle et son infortunée famille ». La belle-mère d’Antoine de Jankovitz, Marie-Anne Falconet née Collot, qui vit aussi à Marimont, décèdera à Nancy en 1821, rue de la Source, dans une maison dont son gendre est propriétaire.Baron Antoine de Jankovitz Après la tourmente révolutionnaire, dans une France déchirée par les discordes civiles et en proie à l’invasion étrangère, Antoine-Stanislas Jankovitz est plébiscité par ses concitoyens. En l’an XIII (1804) le préfet note déjà qu’il est « doué d’excellentes qualités morales et politiques », qu’il s’occupe d’expériences d’agriculture, et estime sa fortune à 400 000 F (francs or !). Ami de l’ordre et des lois, il est élu conseiller général de 1806 à 1830 puis député de la Meurthe de 1820 à 1830 (Collège électoral de Château-Salins). Citoyen sage, A.S. Jankovitz vote pour toutes les mesures propres à améliorer l’administration générale et à apaiser les passions politiques (4). Il remplit également, par intérim, les fonctions de préfet du département de la meurthe. Satisfait de ses services et de son dévouement, Louis XVIII lui accorde, par ordonnance du 20 Janvier 1820, le titre de baron ; son identité se décline dès lors :
- Baron Antoine-Stanislas-Nicolas-Pierre-Fourrier DE JANKOVITZ DE JESZENICZE -
L’année suivante, Sa Majesté lui attribue la décoration de la Légion d’Honneur. Par la suite,le baron établit un majorat sur sa propriété (autorisation du 28 Janvier 1828) lui permettant de transmettre, d’héritier en héritier, son domaine et le titre de noblesse qui lui est rattaché. Il est clair qu’il était très favorable aux anciennes institutions nationales…
Les armoiries de la maison de Jankovitz de Jeszenicze
« D’argent, au lion de gueules debout, tenant une couronne de laurier dans ses pattes »
Supports : deux lions.
L’écu timbré d’un casque avec ses lambrequins, surmonté d’une couronne de marquis, sur laquelle est posée une colombe, tenant dans son bec une branche d’olivier.
Devise : BELLO ET PACE
Cette devise se traduit par « en guerre comme en paix » et signifie que les qualités que l’on montre en temps de paix ne sont pas abandonnées en temps de guerre.
La vie s’écoule paisiblement pour le baron de Jankovitz, son épouse née Marie-Lucie Falconet, baronne par les liens du mariage, et leur fils Anselme né à Nancy en 1806. Elle est marquée par de nombreux séjours de la baronne à Bade, à Strasbourg, des voyages en Italie, Florence, Naples, à Vienne… En somme, l’insouciance des gens riches, heureux et sans problèmes... Dès 1826 le baron envisage d’ailleurs la reconstruction du château de Marimont (5). Mais c’est la baronne qui suit de très près l’exploitation et la gestion du domaine, ainsi qu’en témoigne la Marie-Lucie Falconet baronne de Jankovitz correspondance adressée à son notaire de Bourdonnay, Nicolas-Etienne Benoit père d’Arthur et de Louis Benoit : baux, fermages, vente des récoltes, entretien des bâtiments, plantation d’arbres fruitiers, location des étangs… Elle proteste même énergiquement contre l’Administration télégraphique qui abat ses arbres pour développer l’installation de la télégraphie (6)! Mais si la lecturedes documents que la baronne nous a laissés nous révèle quelques aspects de son mode de vie, elle ne permet aucun doute quant à la générosité du couple vis-à-vis du personnel du domaine et des habitants de Bourdonnay : quelles que soient les circonstances - maladie, décès, récoltes calamiteuses, hiver rigoureux, la famille Jankovitz est toujours présente pour soulager la misère en tendant la main à ceux qui sont dans le besoin, et ceci dans le respect absolu de toutes les vertus chrétiennes. En 1839 le baron fait une donation afin d’assurer la fondation et l’entretien d’une salle d’asile à Bourdonnay ; quelques années plus tard, une nouvelle salle est aménagée pour l’enseignement aux jeunes filles des travaux d’aiguille (7).Mais la générosité de la famille ne s’arrête pas là : elle n’oublie pas le clergé et fait don à la paroisse d’un calice réalisé par la maison Favier de Lyon ; les inscriptions campanaires de trois cloches de Bourdonnay, aujourd’hui disparues, mentionnent d’ailleurs pour deux d’entre-elles, les noms du baron, en sa qualité de parrain, et de son épouse, comme marraine (8). Et si tout va bien pour cette famille qui vit en paix et profite des biens qui embellissent son existence, le destin lui réservera, hélas, un sort particulièrement cruel !
Anselme de Jankovitz Le 9 janvier 1830 leur fils unique, Anselme-Stanislas-Firmin-Léon, joie et orgueil de ses parents, docteur en droit, lieutenant de louveterie à peine âgé de 24 ans a, dans une chasse aux loups (9), le genou fracassé par une balle de son fusil, le coup étant parti inopinément au moment où il remontait à cheval. Il meurt dans d’atroces souffrances le 22 janvier suivant, laissant ses parents livrés aux angoisses du plus cruel désespoir. A sa demande, il sera inhumé au cimetière communal de Bourdonnay. Cette mort brutale et inattendue déstabilise totalement les parents littéralement abattus par cette catastrophe. Pour eux, tout va changer: cette fin prématurée suspend notamment la reconstruction du château projetée par le baron, qui se limite à l’édification du rez-de-chaussée ; M. de Jankovitz se retire aussi entièrement des affaires
publiques. Si la vie et les voyages continuent pour la baronne, la douleur de la perte du fils devient non seulement une nostalgie malheureuse du passé, mais une obsession qui transparaît dans toutes ses correspondances : …le souvenir du bon fils… ; …il n’est plus que dans mon cœur… ; …douleur et larmes d’une mère… ; …promesse faite par mon fils que je pleure toujours… . Mais si les affaires demandent un suivi permanent et méticuleux, la baronne, cependant, se détache du domaine qu’elle repousse petit à petit. Ses déplacements à Versailles, où le couple possède une résidence, deviennent plus fréquents… Ses retours plus difficiles… . Je laisse Arthur Benoit nous conter la suite de ce calvaire :
« La perte douloureuse de son fils décida le baron à élever une chapelle funéraire sur l’emplacement du vieux château. Elle fut élevée sur l’une de ses tours. Cet édifice est rond et surmonté d’une coupole qui lui donne de loin l’air d’un monument arabe. La chapelle a une belle boiserie très bien sculptée, datant du siècle dernier, œuvre du sculpteur Petitgand de Maizières. Les bas-reliefs représentent entre autre la Madeleine. Il y a au-dessus de l’autel un beau tableau à l’huile. Elle (la chapelle) est dédiée à St. Firmin évêque de Verdun dont elle possède une relique. Construite à partir de ….(10), elle tombe déjà en ruines par suite de l’humidité, les terrains amoncelés par le temps du vieux château dominant l’édifice auquel accède un fronton grec. Les arbres cachent presque le monument et, le voyant, on lit sur l’entrée :
BEATI QUI IN DOMINO MORIUNTUR (Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur)
Sur l’entrée de la crypte ou souterrain de l’ancienne tour servant de lieu de repos aux décédés de la famille Jankovitz, on lit ces vers qu’est censée dire la chapelle :
Débris des temps anciens je représente leur château
et garde leur souvenir
j’ai ouvert mon sein brisé
à mes derniers possesseurs
qui ont relevé ma tête vers le ciel
générations qui passez sur la terre
gardez-moi comme un monument de vicissitude
et priez pour eux »
La chapelle funéraire de Marimont.
Quand les restes d’Anselme seront transférés en 1847 du cimetière de Bourdonnay au caveau de famille, toute la population sera là, abandonnant ses travaux, se pressant en masse sur le passage du convoi pour jeter sur son cercueil des fleurs et des couronnes.
Le baron Antoine Stanislas de Jankovitz quitte ce monde à Versailles la même année 1847 et rejoint son fils dans la crypte de la chapelle qu’il a fait construire pour lui. Il y rejoint aussi sa belle-mère, Marie-Anne Falconet née Collot.
Auparavant, désireux de faire hériter un membre de sa famille de la situation sociale qu’il s’est créée en Lorraine et des biens qu’il possède avec sa femme, le baron a entrepris avec son épouse, dès 1832, un voyage en Hongrie pour rechercher un descendant de la famille Jankovitz portant le même nom et susceptible de venir en France pour y être adopté. Né en 1820, Vincent-Ferdinand-Joseph Jankovitz à alors 12 ans (11). Il arrive en France en 1842 après avoir démissionné de l’école de cavalerie du Prater à Vienne pour répondre à la proposition du baron Stanislas de Jankovitz qui a prévu son adoption. Vincent adopte donc la nouvelle orthographe de son nom et se nomme dorénavant « de Jankovitz » comme son futur père adoptif. Naturalisé français, il réside d’abord à Versailles chez ses parents d’adoption avant d’y épouser, en 1846, Louise-Simone-Félicie de Vaulchier du Deschaux, fille d’un ancien préfet et ex-directeur général des postes, la baronne Marie-Lucie s’engageant, par contrat de mariage, à lui léguer la propriété du domaine de Marimont. Plus tard, le couple s’installera à Besançon dans l’hôtel particulier des Vaulchier, beaux-parents de Vincent. Le décès du baron de Jankovitz en 1847 ne laisse aucune trace de succession pour Vincent. Vincent avait-il été adopté ? En tout état de cause Marimont lui reviendra et, de fait, après le décès de la baronne de Jankovitz (12) survenu à Versailles en 1866, Vincent et Louise viennent s’y établir.Là aussi, A. Benoit précise que « le nouveau propriétaire a fait des plantations de plus de 50 jours (un peu plus de 10 hectares !) de vignes, réparé la maison et le parc bien négligés ; la chapelle fut décorée de vitraux en grisaille et de bons tableaux ; on y voit aussi ses armes et celles de sa femme ». Notons que Vincent avait fait un séjour en Algérie peu de temps après avoir émigré en France d’où l’idée de la vigne et du vin à Marimont. Ses relations avec la population sont le reflet de celles laissées par son prédécesseur et son père adoptif car on retrouve Vincent de Jankovitz parrain de la 3ème cloche disparue de Bourdonnay (voir plus haut), la marraine étant l’épouse d’un conseiller à la cour royale de Nancy. Il faut savoir qu’à l’époque, le parrainage des cloches était un enjeu social particulièrement important (8). Peintre à ses heures, Vincent a réalisé de jolis paysages de Franche-Comté ; il est cité dans le BENESIT, le dictionnaire des peintres. Ses activités à Marimont ne l’empêchent pas de retourner à Besançon de temps à autre. C’est au cours d’un de ses séjours dans le Doubs qu’il décède, emporté par une courte maladie, à l’âge de 60 ans, en 1880. « Il repose dans le cimetière de Bourdonnay, sur l’ancien emplacement d’Anselme de Jankovitz, au milieu de ses vignerons et amis du village » commente A. Benoit. Son épouse Louise, décédée à Versailles, l’y rejoint 32 années plus tard, en 1912. Leur tombeau en grès vosgien bien entretenu est toujours visible. A l’arrière, enchâssée dans le mur du cimetière, une plaque rappelle que le fils du baron Antoine de Jankovitz a été inhumé en ce lieu avant de rejoindre le caveau familial de Marimont :
« Ici a été déposé le corps du chevalier Anselme-Stanislas-Maurice-Firmin-Léon de Jankovitz de Jeszenicze d’origine hongroise. Docteur en droit. Lieutenant de louveterie. Fils unique enlevé à ses infortunés parents le baron de Jankovitz député de la Meurthe et dame Marie-Lucie Falconet , par une affreuse catastrophe de chasse aux loups du 9 janvier.
Né à Nancy le 23 février 1806, mort dans sa terre de Marimont le 22 janvier 1830 »
La descendance de Vincent et de son épouse Louise : qu’est-elle devenue ?
- Marie, née en 1847, unit son destin à Dieu tout en restant proche des hommes, notamment des plus défavorisés : elle est religieuse hospitalière à Besançon et termine sa vie chez les sœurs visitandines à Orléans où elle meurt en 1927.
- Stanislas, son frère cadet né en 1852, héritier du domaine, choisit le métier des armes. Engagé volontaire, il est sous-lieutenant de dragons de France quand survient la débâcle de 1870…
1870 : l’année des défaites et de la déchirure ! Stanislas se trouve dans une situation extrêmement délicate, Marimont étant en zone annexée à la terre d’Empire ! Cette situation génère, pour l’officier qu’il est, de nombreux problèmes et sa position devient intenable. En 1882, Stanislas met donc en vente le domaine, le château avec son mobilier et tous ses biens. L’acquéreur est un banquier membre de la famille nancéienne Langlet. Château et domaine changeront encore de main : le château est acquis avec le domaine de 480 hectares en 1889 par la société allemande Funck & Hueck de Hagen et devient ensuite la maison d’habitation d’une très grande exploitation agricole (13). Il appartiendra aussi à la société daum. Détruit en 1944 lors des combats de la libération, il sera reconstruit par une famille sarregueminoise qui lui substituera une élégante villa.
Et aujourd’hui ?
Le domaine proprement dit et le château actuel constituent une propriété privée difficilement accessible, même sur les pas de l’Histoire. Seule la chapelle est censée être propriété communale de Bourdonnay. Elle est dans un triste état et la tempête de la fin du siècle n’a pas arrangé les choses. Un projet de restauration est en cours. Verra-t-il le jour ? Cette chapelle -ce patrimoine qui constitue avant tout une valeur à respecter- nous rappelle, au travers des défunts de sa crypte, non seulement le siècle des Lumières mais aussi des arts et de la générosité. Les habitants de Bourdonnay, eux, ne s’y trompaient pas en qualifiant cet édifice de
« Mémorial des bons barons ».
J-P. Peiffer - 57 Chicourt -
Notes :
(1) Grand sculpteur français du XVIII siècle, directeur de l’atelier de sculpture de la manufacture de Sèvres, Etienne Maurice Falconet (1716-1791) répond à la demande de l’impératrice de Russie Catherine II, lui demandant de réaliser la statue équestre de Pierre le Grand à St. Pétersbourg. Falconet accepte et s’installe en Russie, dès 1766, accompagné de sa jeune élève Marie-Anne Collot (1748-1821) qui fait preuve très rapidement d’une passion et d’un don extraordinaire pour la sculpture et devient la portraitiste attitrée de Catherine II et de sa cour, pour laquelle elle réalise de nombreux bustes et statues. Malgré une grande différence d’âge, leurs relations deviennent intimes mais, négligeant les avis et recommandations de son entourage, le maître n’épousera pas son élève : contre toute attente, c’est Pierre, Falconet-fils (1741-1791), peintre, venu rejoindre son père en 1773, qui unira son destin à celui de Marie-Anne Collot en 1777 à St. Pétersbourg. Hélas, cette union ne durera qu’un an, le temps que naisse une petite fille : Lucie Falconet voit le jour en avril 1778. M.A. Collot-Falconet et sa fille quittent la Russie et se réfugient quelques temps en Hollande où la mère reprend son ébauchoir avant de regagner la France, Paris, où elle continue de travailler. Elle y retrouve son maître, malade, et son fils, qui décèderont la même année à quelques mois d’intervalle. Plus que jamais elle se sent seule avec sa fille. A la révolution des émotions redoutables l’envahissent et elle fuit la capitale pour se réfugier en Lorraine où elle achète, en 1791, sur ses propres deniers, le domaine de Marimont près de Bourdonnay. Elle s’y réfugie avec sa fille Lucie alors âgée de 13 ans.
(Sources: Marie-Anne Collot par M-L Becker RLP 176 et A propos de M-A Collot, sculpteur par A. Courbet RLP 179).
Photo : statue équestre de Pierre le Grand à Leningrad. Grande Encyclopédie Larousse.
(2) Arthur Benoit, fils de Nicolas-Etienne Benoit notaire à Bourdonnay de 1821 à 1833, nous laisse de Marimont la description suivante :
« La terre de Marimont comprenait de vastes dépendances, des fermes, des bois, des étangs etc. C’était, avant la révolution, un ban à part. A la révolution une partie fut donnée à la commune de Donnelay et l’autre, celle avec le château, à celle de Bourdonnay. L’étang de Bru, avec la section qui en porte son nom, n’avait pas été acheté d’abord (sic) par la dame de Falconet. Elle fut vendue (sic) comme bien national aux acquéreurs de la terre de Réchicourt par les citoyens Seillère de Paris, Braun de Fénétrange, Crousse et Benoist de Nancy et Boroger de Marimont (Nb : il s'agit là de la seigneurie de Marimont proche de Bénestroff, qui n'a rien de commun avec Marimont près de Bourdonnay). Ceux-ci vendirent en février 1806 à Mr. Jankovitz, avec la servitude de laisser la saline de Moyenvic jouir de la pêche, du terrage et de l’alimentation du canal pour les coupes des forêts du comté de Réchicourt.
La propriété était de 318 hectares d’un seul tenant, comme du reste tout le domaine : jardins, terres arables, vignes, vergers et chènevières ».
3) Ce fait nous est confirmé par :
- Une correspondance de la baronne Jankovitz, datée du 26.6.1831, à son notaire de Bourdonnay
- Le carnet de notes d’Arthur Benoit (1828-1898).
(4) En 1814, quand l’empereur Alexandre Ier de Russie et ses alliés exigent de la France une contribution de guerre pour laquelle le département de la meurthe est imposé à hauteur de 2 000 000 de F., A.S. Jankovitz va solliciter à Paris un dégrèvement et intervient personnellement auprès du tsar pour qui les noms de Jankovitz et Falconet sont une puissante recommandation… Il est vrai que sa belle-mère, Marie-Anne Collot, avait noué à la cour de Russie d’excellentes relations. Peu de temps après, la dette est complètement éteinte.
Très actif, toujours disponible, il se prononce également sur les sujets les plus divers : composition et organisation des Collèges électoraux, droit de port d’armes, mise en régie des salines de l’Est, admission dans les Collèges des fermiers de toute propriété évaluée à 300 F. de contributions. Ses avis prévalent souvent dans les commissions « travaux » auxquelles il participe et il soumet même à ses pairs une proposition ayant pour objet de soumettre à réélection les députés qui accepteraient d’autres fonctions pendant leur députation ! Déjà le cumul des mandats ? Cette proposition sera examinée, puis rejetée…
(5) Il existait à Marimont un ancien château médiéval, mentionné en 1291, siège d’une seigneurie, puis baronnie, appartenant jusqu’à la révolution aux comtes de Réchicourt. Détruit par l’évêque de Metz en 1427, puis reconstruit, les troupes françaises le ruinèrent définitivement en 1574. En 1757 il est encore fait mention dans un état des revenus de la baronnie « des vestiges de l’ancien château ruiné qui a été entouré de fossés, où il y a encore les ruines d’une vieille tour » (Guide des châteaux de France -57 Moselle- Editions Hermé le Républicain Lorrain).
Le château de Marimont après reconstruction vers 1911
Les signatures de Mme Jankovitz : |
avant 1820… |
|
…et après |
(6) Un télégraphe de Chappe était implanté sur la butte de Marimont et correspondait avec ceux de Lezey et de Languimberg. Il se situait entre la chapelle funéraire et une tour de l’enceinte et a été démoli en 1852. (Dessin de Louis Benoit).
Dessin L. Benoit
(7) « La salle d’asile de Bourdonnay à laquelle est réunie une salle de travail pour les jeunes filles, doit sa création et son entretien aux libéralités de Mr. Jankovitz. C’est un établissement public où sont reçus gratuitement sans distinction de sexe les enfants de la commune jusqu’à l’âge de 6 ou 7 ans. Le local est suffisamment salubre et convenable sur tous les rapports, les élèves peuvent se rendre sans être exposés à l’humidité de la salle d’asile sous un préau couvert et spacieux. La tenue de la salle d’asile est très satisfaisante. La directrice, religieuse de la Providence de Portieux, est fort capable et possède l’aptitude et les qualités nécessaires. La bonté, la douceur et une sage fermeté sont les vertus naturelles de cette estimable institutrice. L’inspection de cette salle d’asile faite régulièrement chaque année n’a qu’à se louer de la politesse et des égards de la directrice comme elle a toujours eu à constater des résultats remarquables au point de vue de l’éducation physique, morale et intellectuelle des élèves. On ne peut donc nier l’immense bienfait et les avantages inappréciables qui résultent des libéralités de Mr. Jankovitz pour la population ouvrière et agricole de Bourdonnay. L’ouverture de cet utile établissement permet à toutes les mères de familles de s’occuper librement des travaux domestiques et champêtres en confiant aux soins maternels de la directrice leur enfant au nombre de 94, dont 48 garçons et 46 filles ». (A.D. Moselle 2 OP 156).
Il faut souligner également que la salle de travail réservée aux jeunes filles, annexe de la salle d’asile, a été créée avec un legs de Vincent de Jankovitz, après le décès du baron.
Déjà une crèche en quelque sorte… Ce qui nous prouve aussi que la générosité du baron et de son épouse n’avait pas uniquement un caractère paternaliste, et que le couple s’intéressait bel et bien au progrès social.
Bourdonnay. L’ancien asile.
Ce bâtiment existe toujours à Bourdonnay, reconverti en logements communaux. Au centre de la façade on trouve un petit clocheton en bois prolongé d’une flèche. En dessous les mentions « FAITES BIEN + LAISSEZ DIRE » et « ECOLE CHRETIENNE » sont toujours visibles.
(8) Source: Art sacré et Patrimoine Marie Gloc (Conservateur du patrimoine) et Mireille-Bénédicte Bouvet (Service Régional de l’Inventaire de Lorraine). Editions Serpenoise.
(9) NDLR : L’accident se situe non loin de Maizières-les-Vic, au sud, en lisière de la forêt.
(10) Un blanc subsiste dans les notes d’A. Benoit, mais qui se comble néanmoins facilement :la chapelle porte tou-
jours une plaque commémorative rédigée en latin, dont la traduction met en évidence la phrase suivante : « … à cet excellent jeune homme, son père en larmes érigea ce monument la 11ème année après sa mort ». Il s’agit bien sûr de la mort d’Anselme et l’édification de la chapelle se situe donc dès 1841.
(11) Rappelez-vous : André Jankovitz a fui la Hongrie en 1711 pour se réfugier en Pologne, mais son frère, Nicolas, y est resté : Vincent n’est autre que l’arrière arrière petit-fils de Nicolas !
(12) La baronne de Jankovitz, née Marie-Lucie Falconet, repose également dans la chapelle funéraire de Marimont.
(13) DRAC. Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France.
Bibliographie :
- La cour polonaise de lunéville (1737-1766) par Pierre Boyé.
-Grands notables du 1er Empire Les notables de la Meurthe par Odette Voillard.
- « Souvenirs de famille » notes manuscrites par Louis de Jankovitz (1896-1975), petit-fils de Vincent de Jankovitz.
- « notes manuscrites » d’Arthur Benoit (1828-1898), le dessin de Louis Benoit (1826-1874), tous deux fils de Nicolas-Etienne Benoit (1791-1840) ancien notaire à Bourdonnay.
Remerciements :
- à M. R. Hiebel, descendant de Nicolas-Etienne Benoit, pour les excellents documents mis à ma disposition.
- à Mme. M. L. Marduel , fille de Louis de Jankovitz, pour les extraits des notes manuscrites de son père et
quelques informations complémentaires.
8 Septembre 2005