Rappel historique :
Novembre 1940 : Les Allemands s'ingénient alors à gommer toute trace de culture française. Mais si la germanisation se veut systématique, rapide et brutale, il est difficile de convertir la population à ce changement forcé de nationalité.
S'opère alors une épuration violente : 100 000 indésirables sont expulsés vers la zone sud avec 50 kilos de bagages et 2 000 francs en poche.
Concours du Républicain Lorrain 1946 Novembre 1940! Jours tragiques !...
On chuchotait depuis peu de sinistres nouvelles: expulsion des lorrains de l’arrondissement de Château-Salins !...
Le 2 novembre la nouvelle se précise, se confirme…...Un souffle de désespoir traverse tous les cœurs; l’angoisse se lit sur chaque visage… Cela est-il possible? Quitter nos maisons? Notre chère Lorraine ?... Quitter le lieu de ma naissance, la maison où j’ai grandi, cette nature que j’aime, toute remplie de coins charmants qui ont bercé mes rêves d’enfant ?...
Le même désespoir se lit sur chaque visage; on n’ose plus se regarder de peur d’éclater en sanglots; un simple regard traduit notre détresse… C’est un village en deuil qui souffre, pleure, se lamente… Ce sont partout les mêmes protestations.
Non, nous ne pourrons pas partir, nous ne pourrons pas partir, nous ne pourrons pas quitter ce qui nous est si cher, cette terre à laquelle nous sommes si fortement attachés. Français nous voulons le rester, mais notre libération viendra et nous voudrions rêver ici au jour merveilleux où l’ennemi sera chassé… Tout cela avec d’abondantes larmes; un souffle de révolte rode…
Comment l’horrible tragédie pourrait-elle s’accomplir ? 13 novembre! Date inoubliable !.. A dix heures du matin sur la place de l’église tout le village est rassemblé… Quelle est donc cette foule calme et fière? Sont ce ces mêmes gens qui hier encore pleuraient et se lamentaient. Aujourd’hui, ils sont là graves et résolus!... Qui pourrait deviner l’intense drame qui se joue ?... Rien dans leur maintien ne laisse deviner ce qui se passe au fond des cœurs… Devinerait-on que ces lorrains vont tout quitter, tout ce qu’ils ont amassé avec tant de peine et d’amour, tout ce qui leur est si cher ?... Qu’on les chasse de chez eux?... Un courage farouche se lit sur chaque visage.
Le signal est donné, on monte dans les cars ! Peut-on croire cette chose incompréhensible ? Pas une larme n’est versée !... Qu’elle force surnaturelle nous pousse donc à agir ainsi ?... Le cœur brisé nous ne voulions pas laisser voir à l’ennemi l’immensité de notre peine. Même les plus faibles, les personnes âgées qui pourraient craindre de ne pas revenir sont montées dans le car avec la même froideur! Oui, là je me suis sentie fière d’être lorraine. Et ils pouvaient dire ces soldats allemands qui nous regardaient étonnés « Oui Lorrains de grande race ils le sont vraiment, ceux la qui savent supporter une telle souffrance en silence ! » Nous connaissions tous la peine qui nous unissait, mais aucun n’a faibli pour priver nos bourreaux de nos larmes.
Je n’avais que 14 ans, mais ce souvenir m’est resté… Je revois toujours ces gens de mon village, si héroïques en ces heures tragiques!
Une habitante de Bourdonnay de 19 ans. G.R